Quiconque suit l’actualité des dernières semaines aura remarqué qu’on parle de plus en plus des conspirationnistes qui remettent en question les consignes sanitaires. Comment expliquer ce phénomène? D’un côté, la santé publique du Québec, le premier ministre Legault et plusieurs experts interviewés dans les médias parlent d’une «fatigue» de la population après six mois de pandémie. L’argument a du sens, mais s’applique essentiellement pour expliquer le relâchement dans l’application des consignes sanitaires, pas la montée de conspirationnistes. La réponse se trouve ailleurs, dans l’aliénation face au gouvernement que certains éprouvent… Et dans les quelques manques de cohérence du message gouvernemental au fil du temps, épisodes qui auront laissé de l’espace au discours conspirationniste.
Le profil des conspirationnistes
Une récente étude internationale affirme que plus une population se sent attachée à son pays, se reconnait en ses dirigeants, plus le respect des consignes sanitaires sera élevé. Si on utilise cette étude pour analyser les conspirationnistes au Québec, on remarque qu’ils évoquent souvent le président Trump, le complot américain QAnon, les Patriotes (sous l’angle de la rébellion contre le gouvernement) ou encore portent le fameux gilet jaune français… Bref, on assiste à des conspirationnistes qui se tournent vers l’extérieur du Québec pour alimenter leurs motivations anti-gouvernementales. Clairement, il y a une déconnexion totale entre ces gens et les autorités québécoises. Et comme il y a une déconnexion forte, ils ne se sentent pas concernés par les mesures gouvernementales.
Au-delà de cette déconnexion, ces mouvements conspirationnistes ne sont pas apparues avec la pandémie, tout comme il ne faudrait pas faire l’erreur de croire qu’ils sont issus du mouvement politique nationaliste. Ces groupes possèdent leurs propres partis politiques et mouvements anti-establishments, comme en témoigne l’appartenance de têtes d’affiches au parti Citoyens au pouvoir ou encore au groupe La Meute, entre autres. Pour ces groupes, la pandémie est un autre prétexte pour tenter de recruter des gens à leur cause.
Le puissant contexte d’incertitude créé par la pandémie de la COVID-19 est en effet un terreau fertile pour le recrutement conspirationniste: face à l’incertitude, un réflexe naturel est de reprendre une forme de contrôle. Ce contrôle se manifeste en premier par trouver des réponses pour expliquer la situation et, ensuite, mener des actions en fonction de ces réponses. C’est exactement ce que fournissent les leaders conspirationnistes, à travers des réponses toutes faites («on vous cache la vérité», «la pandémie est une machination», «le gouvernement veut vous contrôler») pour ensuite appeler à la mobilisation face à un ennemi identifié, à travers des actes de désobéissance civile, des manifestations et la promesse d’être prêt à se battre si une révolution devait avoir lieu. Ainsi, le discours conspirationniste n’a pas à fournir des «réponses» cohérentes, mais seulement à être cohérent avec ce que recherchent les indécis.
La communication du gouvernement pour contrer les conspirationnistes
Comment s’attaquer à cette montée conspirationniste? Pour les «convertis», il n’y a pas grand-chose à faire pour les convaincre, il faut donc des mesures en place pour les empêcher de nuire. Mais pour ceux qui se «questionnent», il faut que les autorités offrent des réponses et des actions crédibles. Ça passe par un message clair, cohérent et constant, qui démontre que les autorités sont en action, en contrôle. C’est lorsque les gens n’ont pas l’assurance que les autorités sont en contrôle qu’ils deviennent incertains: «si même le gouvernement ne peut rien faire, que va-t-il m’arriver?» Et s’ils n’ont pas cette assurance, ils vont chercher leurs réponses ailleurs… Ce que les conspirationnistes ont bien compris!
Concrètement, on peut en voir l’effet en comparant l’appui de la population aux mesures d’Ottawa et de Québec. Dès les premières semaines de la pandémie, le premier ministre Trudeau enveloppait ses annonces dans de grands principes, de grandes valeurs (soutenir les Canadiens, s’entraider, revenir en force, coopérer avec nos partenaires, etc.), alors que le premier ministre Legault concentrait ses discours autour des actions à prendre, tant par le gouvernement que la population. Certes, le secteur de la santé est une compétence provinciale, ce qui donnait beaucoup de marge de manœuvre au gouvernement du Québec, mais ça n’a pas empêché le gouvernement fédéral d’y aller de nombreuses mesures économiques d’envergure, comme la fameuse Prestation canadienne universelle (PCU). Indépendamment du résultats des mesures prises par les deux gouvernements, la dynamique de leur discours était différente et ça c’est rapidement manifesté dans les sondages d’opinion: depuis mars, l’appui de la population à la gestion de la pandémie par le gouvernement Legault est en moyenne 15-20 % plus élevé que celle du gouvernement Trudeau (selon les chiffres de Léger).
Si le gouvernement Legault connait une certaine baisse d’appuis à son plan contre la pandémie – baisse prévisible lorsqu’on débute autour de 95 % d’appuis – il a connu trois creux notables: le premier à la fin avril-début mai, alors qu’il tergiversait sur la question du port du masque et que plusieurs annonces ne se concrétisaient pas en raison de résistances dans la machine de la santé; le deuxième creux était dans la semaine du 20 juin, alors qu’une canicule a fait craindre une autre vague de décès dans les CHSLD après celle du printemps et que le gouvernement était engagé dans un bras de fer avec les syndicats de la santé sur l’embauche de nouveaux préposés aux bénéficiaires; et le dernier creux est survenu à la mi-août, lorsque plusieurs questions se sont posées au même temps sur l’impact de la rentrée de l’automne sur la pandémie. Dans les trois cas, le message du gouvernement était un peu plus faible, moins clair, laissant place à la critique.
En conclusion
Comme le veut l’expression populaire, la nature a horreur du vide. Dès que le discours du gouvernement manque de clarté et laisse flanc à la critique, il offre de l’espace à des contre-discours. C’est dans cet espace que les discours des leaders conspirationnistes vont s’insérer. Contrairement au gouvernement qui a une obligation de résultats, de part son rôle dans la société (il ne peut pas seulement promettre des actions, il doit les réaliser, du moins en partie), pour garder l’adhésion populaire, les conspirationnistes ont seulement besoin de promettre des actions pour préserver leurs appuis puisqu’ils parlent à des «convertis». Le résultat est que chaque «couac» du gouvernement lui fera perdre des appuis, alors que les groupes conspirationnistes n’ont qu’à attendre ces maladresses du gouvernement, sans nécessairement perdre d’appuis entretemps.